Rythme métallique, cadence mécanique, le Tour avait, ces dernières années, pris la fâcheuse habitude, posé sur des rails solides, d'arriver à l'heure sans jamais dérailler, de livrer une course cadenassée, prévisible. Monotone jusqu'à l'ennui. Changement radical cette année, un souffle de liberté (même sous la canicule) se promène sur la Grande Boucle mariant audace et variété, exploits et défaillances. «Comme il y a quelques années. Les choses évoluent dans le bon sens», se réjouit Laurent Jalabert. Parcelles d'explications.
Les contours du parcours parfaitement utilisés :
Pavés, moyenne montagne (Jura), avant des écarts considérables dès le premier col de 1re catégorie (col de La Ramaz, dans les Alpes). Sous une chaleur caniculaire. Les protagonistes ne laissent rien passer. Pour tourner la page. «Ces dernières années, la course était étriquée. En dessinant le Tour, je rêvais d'acteurs acceptant l'idée de perdre pour gagner. Le terrain s'y prête. Les coureurs l'utilisent enfin. C'est moins étriqué, moins robotisé. Et quel spectacle », résume Christian Prudhomme, le directeur du Tour. «La course est folle», complète, ravi, Jean-René Bernaudeau, le manager de l'équipe Bbox Bouygues Telecom. «La course n'est pas paralysée, pas une équipe domine, même chez les sprinteurs. Chaque jour cela change. À tous les niveaux, pour tous les classements. Et il peut encore se passer tellement de choses», confie Patrick Lefevere, le manager de la formation Quick Step.
La fin des années de plomb :
Le peloton, mercredi, lors de la 10e étape. Un vent de liberté souffle sur le Tour de France, émancipé de l'emprise d'Armstrong.
Lance Armstrong, spectateur et sans héritier. Comme avant lui Miguel Indurain (de 1991 à 1995), le septuple vainqueur du Tour a régné sur le Tour (de 1999 à 2005). Longtemps et selon un scénario immuable, implacable. Réprimant les initiatives, ligotant les ambitions, faisant régner la terreur. Chevauchée millimétrée dépourvue d'émotion. «Là, on voit des leaders qui flanchent, Armstrong, Wiggins, Evans et même Contador qui n'est pas toujours facile. Je me souviens d'une période où le mot «défaillance» ne faisait plus partie du vocabulaire cycliste. On le retrouve. Rien n'est acquis. Rien n'est gagné. Rien n'est facile. Et si Contador et Schleck semblent au-dessus du lot, ils doivent gamberger car eux non plus ne se trouvent pas à l'abri d'une défaillance», souligne Éric Boyer, le manager de l'équipe Cofidis. Car la chaleur et le parcours éprouvent, modifient les stratégies, hier rodées. «Cette année, les équipiers sautent de bonne heure. Il n'y a plus deux ou trois équipiers avec le Maillot jaune dans la roue imprimant un train d'enfer pour passer le col de la Madeleine. Maintenant, on voit une lutte entre les leaders sans équipiers interposés», note Charly Mottet, l'ancien Maillot jaune.
Les Français décomplexés :
Déjà trois succès d'étape (Sylvain Chavanel à Spa et aux Rousses; Sandy Casar à Saint-Jean-de-Maurienne), deux jours en jaune (Chavanel) et une succession de maillots à pois de meilleur grimpeur. Sans oublier une présence continue dans les échappées. Certes la France ne dispose toujours pas d'un élément capable de jouer le classement général mais le rideau de l'espoir s'entrouvre. «Les leaders sont moins performants que par le passé et, année après année, les Français comblent l'écart avec ceux qui gagnent. Et sur le plan psychologique, cela déclenche moins de limites et plus d'ambitions», signale Éric Boyer.
Ouverture d'une nouvelle ère?
Les événements lointains et plus récents obligent à repousser toute conclusion hâtive tant les liaisons dangereuses et les manigances entre les saltimbanques et les apprentis sorciers si longtemps entretenues ont défrayé la chronique pour salir les rives d'un cyclisme éprouvant les pires peines à nettoyer son image, s'affranchir d'un passé pesant. Mais les signes perçus s'apprécient. Sans modération. Bernard Thévenet, ancien double vainqueur du Tour, glisse: «Peut-être voit-on les premiers signes des efforts de la lutte antidopage.» Jean-René Bernaudeau ajoute: «Tout change. Le vélo ne peut pas vivre sans exploits, défaillances, joies et drames. Avant, cela roulait visages fermés, il n'y a plus cela. On voit, on lit les efforts, la douleur. Cette année, le vainqueur va être aimé. Les gens vont s'y intéresser, cela va être plus authentique. Le cyclisme est un sport fabuleux qui n'a pas besoin de battre des records. Si on passe à 1 km/h de moins, cela ne se voit pas. Sans sourires et pleurs, ce sport est mort. Ce que l'on voit est encourageant…»
Les leaders en ont profité pour récupérer:
Le scénario d'une longue échappée était prévisible, hier. En observant la topographie et en se rappelant de tous les événements survenus depuis le départ du Tour, il était évident que l'étape offrait aux leaders le moment idéal pour se placer un peu en retrait et récupérer. RadioSchack en a profité pour montrer qu'ils existent encore. Et le Portugais Sergio Paulhinho, vice-champion olympique en 2004, ce n'est pas un mauvais. Il fallait se trouver dans le bon wagon. Il a su bien manœuvrer. J'aurais préféré que ce soit un petit Français mais ils n'ont finalement pas pu.
La 11e étape vers Bourg-lès-Valence devrait offrir un scénario identique pour des leaders gérant sereinement. Seule différence, la possibilité offerte aux sprinters. En effet, il n'y a qu'un col de 3e catégorie, placé en milieu d'étape pour des sprinters qui ne disposent plus de beaucoup d'endroits pour se distinguer. Alors ils doivent se battre pour gagner là. La chaleur devrait encore être au rendez-vous, elle ne devrait pas être à l'origine de défaillances sur le plat mais si jamais elle durait, elle pourrait, avec la répétition des efforts, jouer et faire des dégâts dans les Pyrénées.
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